Renaître ensemble : une relation plus profonde grâce à un nouveau départ

Tae'Tzou

Tae'Tzou,  mon compagnon équin depuis 14 ans, est un cheval entier (non castré) ibérique, né au Portugal dans un cadre extensif, en liberté dans de vastes espaces. Ce contexte a façonné sa personnalité : il a grandi sans être socialisé jeune envers l'humain, ce qui a engendré une méfiance naturelle, exacerbée par sa grande sensibilité. En présence de l'humain, il se crispe, comme un réflexe de protection, créant une distance physique et émotionnelle, un cercle vital, qu'il maintient autour de lui. Plus une personne est tendue, incertaine ou déconnectée de ce qu'elle ressent, plus il ressent, lui, le besoin de s'éloigner pour se protéger.

Tous les chevaux sont naturellement sensibles aux émotions et aux états d'esprit des humains, mais Tae'Tzou manifeste cette sensibilité de manière particulièrement marquée en raison de cette carence de liens jeune avec l'humain. Il a développé une méfiance instinctive et une réactivité accentuée aux signes de déconnexion ou de malaise chez l'humain, se manifestant pour l'humain impliqué par l'impossibilité de l'approcher ou lui mettre le licol dans ces contextes. Cette réaction est renforcée par sa grande sensibilité, une qualité qui fait qu’il capte de façon encore plus aiguë les émotions et l’énergie qui l’entourent. Quand une personne est tendue, stressée ou hésitante, Tae'Tzou perçoit cette énergie comme une menace potentielle. En réponse, il prend de la distance, cherchant à se protéger de ce qu’il interprète comme un déséquilibre dans la relation.

Il n'est pas seulement le reflet de son environnement, mais aussi un être qui a appris à se défendre de manière intuitive face à des énergies qu'il perçoit comme "désalignées". Son passé, marqué par des expériences de méfiance et de traumatisme, le pousse à être encore plus vigilant et à maintenir une distance de sécurité jusqu'à ce qu'il sente un alignement et une sincérité dans l’attitude de son interlocuteur.

Pendant des années, lui et moi avons évolué ensemble dans un lieu ambivalent, à la fois espace d'apprentissage et générateur de contraintes multiples. Au fil du temps, l'énergie de ce lieu, marquée par des tensions et une dynamique relationnelle de plus en plus fermée et pesante, a commencé à nous impacter tous les deux. Je voyais bien que Tae'Tzou supportait de plus en plus difficilement cet environnement. Pour ma part, je n'étais plus en accord avec certaines pratiques, notamment l'approche podologique, et mon corps me parlait à travers des signes que je ne pouvais plus ignorer : il était temps de partir, de chercher un espace où nous pourrions nous recentrer et nous retrouver.

Le changement a eu lieu en mai 2024.

Un nouveau lieu, un pré paisible dans une pension familiale, des potes chevaux bien dans leurs sabots, des relations humaines courtoises et enrichissantes, et une énergie sereine : tout était en place pour amorcer une transformation profonde. Tae'Tzou s'est rapidement épanouit.

Sa manière de bouger a commencé à évoluer. Ses mouvements, jadis tendus et rapides, se sont adoucis, devenant plus lents et fluides. Même dans notre travail au sol, des exercices aux longues rênes que je n'avais jamais tentés avec lui ont donné des résultats magiques. Il répondait avec une aisance et une fluidité encore jamais exprimée, comme si une porte s’était ouverte en lui.

Mais le véritable tournant émotionnel est survenu à la fin du mois de novembre 2024.

Ce jour-là, comme je ne le voyais pas en arrivant au pré, je l'ai appelé. Le poulain dans le pré d'à côté a répondu par un hennissement, et presque aussitôt, j'ai entendu celui de Tae'Tzou, venu du fond du pré. Puis, je l'ai vu apparaître, galopant le long du ruisseau au bas de la pente. Je l'ai appelé à nouveau et en me voyant, il s'est arrêté. Il m'a fixée un instant, avant de monter la pente au galop en ajoutant deux magnifiques coups de cul, comme une éruption de joie pure, avant de venir vers moi.

Ce moment, simple en apparence, était d'une puissance bouleversante. Pour la première fois depuis que nous nous connaissions, il avait librement choisi l'humain plutôt qu'un autre cheval. Reflet de tout ce que nous avions traversé ensemble, notre relation avait franchi un cap : elle était devenue un véritable espace de connexion profonde.

Ce genre de moment nous rappelle que les chevaux, êtres d’une sensibilité exceptionnelle, ne mentent jamais dans leurs gestes. Ils choisissent avec leur cœur, leur intuition, et leur ressenti. Tae'Tzou ne m’a pas seulement offert un souvenir inoubliable ; il m’a enseigné que l'amour, sous toutes ses formes, est un chemin fait de choix, de confiance et de partage.

Malgré son histoire, sa méfiance d’autrefois et ses blessures, Tae'Tzou m'a offert ce moment unique. Ce jour-là, dans son galop joyeux vers moi, il m’a montré que notre lien était désormais profondément ancré dans la confiance et la considération mutuelle.

Dans ce nouveau chapitre de notre histoire, chaque moment passé avec lui devient un cadeau précieux, une occasion de grandir et d’apprendre à travers cet échange silencieux mais profond qui peut caractériser la relation entre un humain et son cheval.

Toutefois, Tae'Tzou m’a offert une leçon de vie qui va bien au-delà de la confiance : il m’a enseigné la co-évolution. Une relation, qu’elle soit entre deux humains ou entre un humain et un cheval, se transforme véritablement à travers une adaptation mutuelle. Ce n’est pas un processus où l’un évolue seul, mais un va-et-vient, une interaction constante, une co-création où chaque interaction est une opportunité pour les deux de grandir, d’apprendre et de s’ajuster.

La co-évolution, c’est percevoir les besoins de l’autre, reconnaître ses limites et ses attentes, sans imposer nos propres rythmes. Dans une relation, accorder ma confiance à l’autre repose d’abord sur la sécurité intérieure que je cultive en moi. Cela me permet de m’appuyer sur mes propres ressources pour agir de manière appropriée, générant ainsi une synergie. Un contexte s'est alors instauré où il se sentait en sécurité pour évoluer à son rythme, mes réactions s'ajustant à ses besoins et ses signaux. Chaque progrès était le fruit d’une observation constante de ma part, d’un ajustement de mes attentes, et d’une réactivité de sa part, me poussant à affiner mes attitudes et attentes.

C’est ce va-et-vient, dialogue silencieux mais puissant, qui nous a permis de dépasser les traumatismes et les peurs. Nous avons appris à décoder les signaux de l’autre, à comprendre que chaque geste, chaque regard, portait une intention. La véritable transformation a été ce chemin où nos évolutions étaient liées et complémentaires, où chaque ajustement apporté par l’un offrait à l’autre l’opportunité de progresser davantage.

Sur le plan neurologique, ce processus est soutenu par les neurones miroirs, ces cellules cérébrales qui nous permettent de ressentir, de comprendre et de nous ajuster émotionnellement en réponse à l’autre. Ces neurones jouent un rôle clé dans notre capacité à développer de l’empathie et à réagir en harmonie avec les émotions et les actions des autres. Ce lien neurologique, silencieux et instantané, a permis à notre relation de se renforcer.

Ce chemin que nous parcourons ensemble Tae'Tzou et moi témoigne de ce que la co-évolution peut offrir : une relation où chaque geste, regard et silence devient une occasion d'apprendre à mieux comprendre l'autre, à ajuster nos réactions et à renforcer la confiance partagée à chaque étape.

"Passe ta vie en considérant que tu es un-e apprenti-e et que chaque être vivant que tu rencontres est un maître de sagesse qui a quelque chose à t'apprendre."

Martine Clerc